jeudi 10 février 2011

Même pas mort dans ma deuxième vie numérique !

Avez-vous déjà songé à ce que deviendront vos mails, vos tweets, votre page Facebook ou votre blog une fois passé à trépas ? Le fantôme de votre double numérique hantera-t-il pour toujours le cyberespace à coup de posts automatiques  et de "c'est votre anniversaire" sur le "Social Network"? Votre compte Twitter continuera-t-il à vivre alimenté par des posts en 140 signes robotisés ou sera-t-il usurpé par un proche ou un inconnu entretenant l'illusion pour vos 4000 followers ? Sans y penser, vous semez chaque jour, à chaque heure, parfois à chaque minute les traces de votre existence et de vos pensées  sur les dizaines de milliers de serveurs qui font battre le coeur du Réseau. Et vous vous assurez ainsi une postérité numérique, une forme d'immortalité sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Demain, à partir de cet ADN digital, vos descendants pourront peut-être recréer votre personnalité sous la forme d'un avatar "3D" doté d'une intelligence artificielle avec qui ils pourront conserver: "Dis c'était comment cher Aïeul au début du XXIème siécle ? Et qui était cette femme que tu as tant aimé ?"... Encore plus fou, n'avez-vous jamais rêvé (ou cauchemardé) de renaître à la vie par la grâce d'une manipulation de votre ADN biologique, cette fois, cloné par quelque savant fou qui donnerait naissance à un Golem de chair, un deuxième vous-même ? Et si d'aventure il était possible un jour de "sauvegarder" votre conscience, ce pur esprit que les croyants appellent l'âme, pour la télécharger sur un disque dur et ressusciter des morts tel Lazare sous la forme d'un homme-machine que l'on appelle Cyborg ?

#JESUISMORT
Le sujet est troublant, dérangeant. Pourtant, il faudra bien se pencher dessus, alors qu’un business commence à émerger autour de la gestion de votre vie numérique, de l’archivage de votre vie numérique, avec notamment le projet Total Recall ourdi par un Docteur de Mabuse de Microsoft. Votre vie numérisée pour l'éternité, l’immortalité digitale, la transcendance de l'humanité et son "augmentation" par la machine...Justement, il en était question au cours de la soirée #jesuismort  , organisée mardi à La Cantine par nos amis de L'Atelier des Médias de RFI, Silicon Maniacs et Owni (retrouverez la vidéo à la fin de ce billet). Une soirée-débat particulière, avec des invités étranges (entre autres un président de l'Association Française Transhumaniste, un membre de la Singularity University...) où l’on a beaucoup causé immortalité et transhumanisme, cette mouvance culturelle qui prône l'usage des sciences et des techniques pour améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains.
Un truc de doux de dingues ? Pas si sûr quand   Eric Schmidt de Google s'y met et déclare : "Ce que nous essayons de faire c'est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu'ils n'arrivent pas à faire bien"...
Au lendemain de la soirée #Jesuismort, nous avons donc décidé d'écrire ce billet à quatre mains avec ma collègue blogueuse et journaliste Capucine Cousin et de l'accueillir sur nos blogs respectifs (vive les billets co-brandés ;). Alors suivez le guide, continuons donc notre voyage dans les limbes de la post-humanité numérique...

CIMETIERE VIRTUEL
Nos traces numériques esquissent déjà des prémices à notre postérité digitale. Vous êtes peut-être déjà tombés, au gré de vos pérégrinations sur Facebook, sur des pages de personnes décédées. Capucine a déjà  atterri par hasard sur la page Facebook du frère d'un ami, disparu en mer. Son wall était resté ouvert, en accès libre, ses amis et sa famille continuaient à y déposer des messages d’hommage post-mortem. J'ai connu la même expérience suite à la mort soudaine d'un vieil ami journaliste...et lorsque la petite fille d'un autre ami a été emportée si jeune par la maladie. Sa famille, ses proches, ses amis d'école lui ont continué à lui parler pendant des mois comme à un ange présent derrière l'écran, lui érigeant un mausolée presque gai de photos, petits mots,  fleurs et dessins....Un besoin troublant, émouvant, déchirant d'entretenir la mémoire vieux comme l'humanité : Facebook est-il en train de devenir le premier cimetière virtuel global ?
La question est posée. Justement, mardi soir à #Jesuismort, Tristan-Mendès France, un temps assistant parlementaire, maintenant blogueur, documentariste et chargé de cours au Celsa, nous a longuement parlé de cela – ces rites funéraires qui commencent à se développer dans des mondes virtuels. La première fois, que cela s’est produit, dit-on, c'était dans le jeu en réseau "Word of Warcraft" en 2005 : suite au décès d’une gameuse, une véritable veillée a été organisé dans le monde de Warcraft pour lui rendre hommage…
Pour Tristan, c’est sûr, Facebook devient aussi un lieu de sépulture et de culte post-mortem qui compterait 5 millions de morts sur 600 millions de vivants: des profils de personnes décédées, laissés ouverts, volontairement ou pas, par les familles... Et de fait, c’est un peu affolant, mais rien n’a été prévu par les Facebook, Twitter, LinkedIn et les autres réseaux sociaux pour supprimer le profil d’une personne décédée ! Idem pour les plateformes de blogs, les moteurs de recherche…
Au niveau juridique, c’est la jungle. Au point que quelques sociétés imaginent déjà sûrement des solutions de marchandisation post-mortem. Imaginez : bientôt, à défaut d’être immortel physiquement, vous pourrez sans doute vous acheter une immortalité digitale, garder une présence en ligne, sous la forme d'une concession virtuelle éternelle ou réduite à 20, 30 ou 50 ans...
Parallèlement, des futurologues, gourous du transhumanisme, tels Raymond Kuzweil, Aubrey de Grey, et autres doux dingues le jurent: la mort est un phénomène dont on peut guérir. Certains prédisent l’immortalité dans 15 ou 20 ans grâce au séquençage du génome humain, entre autres évolutions technologiques. Lisez plutôt le Manifeste des Extropiens, une nouvelle religion conceptualisée par le bon docteur Max Morehttp://www.maxmore.com/:
"Nous mettons en question le caractère inévitable du vieillissement de la mort, nous cherchons à améliorer progressivement nos capacités intellectuelles et physiques, et à nous développer émotionnellement. Nous voyons l'humanité comme une phase de transition dans le développement évolutionnaire de l'intelligence. Nous défendons l'usage de la science pour accélérer notre passage d'une condition humaine à une condition transhumaine, ou posthumaine. Comme l'a dit le physicien Freeman Dyson, 'l'humanité me semble un magnifique commencement, mais pas le dernier mot" (Introduction à "Principes extropiens" 3.0).
Un délire de l’humain parfait flirtant dangereusement avec l'eugénisme et l'homme nouveau national socialiste qui a abondamment inspiré la Science-Fiction d'avant et d'après guerre, du "Big Brother" d'Orwell au "Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley. Et que l'on a vu recyclé dans plusieurs films, notamment « Bienvenue à Gattaca » où des  jeunes gens au patrimoine génétique parfaits étaient programmés pour partir à la conquête de l’espace…Pour mémoire, voyez plutôt ce petit extrait:


ETRANGES CONCEPTS

C’est là, que défilent d’étranges concepts survolés lors de la soirée #Jesuismort. On a brièvement parlé de cryogénisation (vous savez, cette théorie – très en vogue il y a une dizaine d’années – consiste à se faire congeler pour ressusciter dans un futur proche ;) : déjà has been. Il fut aussi question d’ "uploading de l’esprit" ou comment transférer  le contenu d'un cerveau sur disque dur, en l'ayant préalablement numérisé. Un ordinateur pourrait alors reconstituer l’esprit par la simulation de son fonctionnement, sans que l'on ne puisse distinguer un cerveau biologique «réel » d'un cerveau simulé...Totalement naïf et délirant vous diront tous les neurologues vu la Terra Incognita que reste notre cortex pour la science. Le concept apparaît pourtant dans "Matrix" et ses suites, mais aussi dans "La Possibilité d’une Ile" de Michel Houellebecq, où le "mind uploading" est évoqué comme un composant de la technique permettant de vivre, jeune, plusieurs vies successives avec un corps et un esprit identiques. De vaincre enfin l'obsolescence de l'humanité...
Les tenants du transhumanisme y croient dur comme fer: en plein débat sur la réforme de la loi sur la bioéthique (le texte est en débat au Parlement en ce moment), ils ne jurent que par les propositions « technoprogressistes ». Comme par exemple, « autoriser le libre choix de la gestion pour autrui, notamment dans le cas des mères porteuses », expliquait mardi soir Marc Roux, étrange président de l’Association Française Transhumaniste. Pour lui, c’est simple, « le législateur est très en retard sur ces sujets ».

Ces délires scientistes autour du transhumanisme se concrétisent déjà. Vous voulez  savoir si d'aventure vous n’avez pas quelques prédispositions pour avoir un cancer ou la maladie d’Alzheimer ? Si votre enfant potentiel à venir aura un QI de 150 et les yeux bleus ? Une kyrielle de start-ups pullulent sur le Net, et vous proposent déjà d’analyser votre ADN, telle 23AndMe  (oh tiens donc, fondée par l’épouse de Sergey Brin, un des fondateurs de Google…on y reviendra), d’explorer votre patrimoine génétique, ou plus prosaïquement de faire un test de paternité. Quitte à conserver dans leurs bases de données ces précieuses données très intimes vous concernant… au risque de les revendre dans quelques années.  
"J'ai vu tant de chose que vous humains ne pourrez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l'épaule d'orion. J'ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l'ombre de la porte de Tannahauser.Tous ces moments se perdront dans l'oubli comme les larmes dans la pluie...", déclamait Roy, le répliquant de "Blade Runner" dans la scène finale du film de Ridley Scott.
Comme nous pauvres mortels, il avait peur de tirer sa révérence sans laisser trace de son existence terrestre. Il se trompait. Demain, rien ne se perdra totalement dans l'oubli. La mémoire du réseau est éternelle. Demain, une bonne partie de ce que nous avons été perdurera pour des siècles et des siécles sous une forme immatérielle ou une autre
Pour conclure, laissons la parole à Roy, laissons lui le mot de la FIN:



Capucine Cousin et Jean-Christophe Féraud


Et en bonus, pour en savoir plus, voici donc comme promis le player où vous retrouverez l'intégralité des échanges de la soirée #Jesuismort organisée le 9 décembre par L'Atelier des Médias de RFI, Silicon Maniacs et Owni :

 
 

6 commentaires:

  1. Très intéressant ce papier, comme d'hab' d'ailleurs...
    j'en profite pour te cirer les pompes et te dire que ce blog est vraiment bien
    les sujets sont terribles et le traitement est nickel
    je suis journaliste également et je me suis lancé récemment dans l'expérience blog
    je commence à devenir accroc également...
    je pense que je suis foutu... ah ah !

    continue ton taff, ça tue !

    à +

    MJM
    http://doyouhayastan.blogspot.com/

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  2. Merci pour ton commentaire vraiment sympa MJM. Je vais aller voir ce pas ton blog doyouhayastan et te renvoyer la pommade ;)
    JC

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  3. Et voilà qu'est ce que l'on vous disait! votre mort devient aussi un business numérique. Voilà la communiqué que je reviens de recevoir au journal:
    "2day4ever.com propose de concevoir et de diffuser un Netgramme, version moderne du télégramme et de le diffuser à une date choisie dans une durée de 99 ans"...en clair, il s'agit d'un abonnement(une concession ?) pour parler à vos proches d'outre-tombe, entretenir l'illusion d'une présence digitale. Bientôt on ne se posera plus la question de l'existence des fantômes: ils seront plus nombreux que les vivants sur le Réseau !

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  4. J'en profite aussi pour rectifier:il paraît que depuis peu Facebook a prévu “quelque chose” pour les profils de personnes décédées.
    C'est ici : http://www.facebook.com/help/contact.php?show_form=deceased
    Merci @Boz qui me l'a fait savoir en commentaire du double de ce billet téléporté sur Owni

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  5. Le concept initié par le Huffington Post ne fera qu'un temps.
    Google ne l'entend pas de cette oreille, et commence à déployer une technologie qui laissera l'initiative au surfeur d'accepter ou non ces vampires de contenu.
    Dans un premier temps il n'y paraîtra rien, mais qui sait dans quelques temps ?
    Ces sites ont eu la part belle grâce à toute une nouvelle génération internet, qui surfait tel un vol de criquet sur un champ de salade. Il arrivera le temps où l'on surfera autrement, où le talent individuel sera récompensé, où l'artillerie lourde sera la vérole de la requête Google. :)

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